Crise alimentaire: questions/réponses
Une crise alimentaire majeure frappe l’Afrique de l'Est, le Nigéria et le Yémen. Xavier Duvauchelle, responsable des programmes de Handicap International en Afrique de l'Est, souligne la gravité de la catastrophe et donne des détails sur l’intervention de nos équipes sur le terrain.
Image d'archive : camp de personnes déplacées de Djouba, Soudan du Sud, 2014 | (c) Camille Lepage / Handicap International
Les Nations unies indiquent que cette crise est d'une gravité sans précédent. Quelles sont les conséquences pour les organisations humanitaires sur le terrain?
Xavier Duvauchelle: "Il est pour l'instant difficile d'évaluer le niveau de souffrance à l'échelle de la région. 20 millions de personnes sont exposées à une insécurité alimentaire critique au Soudan du Sud, en Somalie, au Yémen et au Nigéria. Imaginez que cela correspond au tiers de la population française! Chaque jour, depuis des mois, 20 millions de personnes luttent pour trouver suffisamment de nourriture pour survivre et nourrir les personnes qui leur sont chères. Malheureusement, dans certaines régions, des personnes meurent déjà de faim et de maladies connexes au manque de nourriture.
Nos équipes en Afrique de l'Est sont véritablement inquiètes, car personne n'a oublié la crise alimentaire de 2011 qui a causé 271 000 décès. Les dernières statistiques et notre propre expérience sur le terrain indiquent que nous nous trouvons aujourd'hui face à une catastrophe bien plus grave. Je dirais qu'en l'absence d’une intervention de très grande ampleur, nous risquons d'observer le niveau de souffrance humaine le plus élevé depuis 70 ans."
En cas de crise alimentaire, l'action d'urgence repose-t-elle exclusivement sur la distribution de nourriture?
"Dans les situations de crise, nous savons que certaines personnes rencontrent plus de difficultés que les autres et peuvent rapidement devenir extrêmement vulnérables. Lorsque la nourriture se fait rare, les personnes âgées, les personnes atteintes d'une incapacité physique ou mentale, les bébés et les femmes enceintes sont parmi les plus exposés au risque de malnutrition et autres complications. Prenons l'exemple des personnes ayant des problèmes pour se déplacer. Il est beaucoup plus difficile pour elles de quitter leur domicile et de parcourir de longues distances, et les transports peuvent leur coûter toutes leurs économies. Elles sont souvent séparées de leurs proches qui savent comment les aider ou les soigner. Une fois arrivées en lieu sûr, elles en sont pas forcément en mesure de rester longtemps debout afin d'obtenir une aide alimentaire, ni de pomper et de porter de l'eau.
Nous avons une longue expérience de prise en charge des personnes les plus fragiles en situation de crise, et de leurs besoins spécifiques, et nous apportons une expertise précieuse aux partenaires qui coordonnent l'action humanitaire. Nous mettons en place des changements simples mais efficaces, par exemple en veillant à ce que les points d'eau soient accessibles aux personnes à mobilité réduite et en formant le personnel humanitaire à identifier et à aider les personnes ayant des besoins supplémentaires. Il est essentiel que les personnes les plus vulnérables ne soient pas oubliées ni laissées de côté."
Avec 20 millions de personnes menacées, quelles sont vos priorités?
"Les besoins et enjeux varient grandement d'un pays et d'une région à l'autre. Nous évaluons donc systématiquement nos interventions sur la base des besoins les plus urgents et en coordination avec d'autres organisations de solidarité présentes sur place.
À titre d'exemple, nous avons constaté un afflux sans précédent de réfugiés sud-soudanais dans le nord de l'Ouganda et dans l'ouest de l'Éthiopie ces derniers mois. Nous nous inquiétons particulièrement du nombre d'enfants de moins de cinq ans qui arrivent dans un état de malnutrition aiguë. Ces enfants présentent un risque extrêmement élevé d'infection; leur croissance et leur développement cognitif peuvent être retardés. C'est pourquoi nous avons cherché un financement d'urgence afin de mettre en place un programme de stimulation physique dans cette région. Des physiothérapeutes spécialement formés travailleront en partenariat avec d'autres professionnels de santé afin de s'assurer que chaque bébé et chaque enfant concerné bénéficie des meilleures chances de complet rétablissement."
Handicap International est l'une des rares ONG présentes au Soudan du Sud. Pouvez-vous décrire la situation sur place et le travail que vous menez?
"À l'heure actuelle, la situation est extrêmement dangereuse au Soudan du Sud et toutes les organisations humanitaires sont confrontées à de considérables problèmes de sécurité pour atteindre les personnes qui en ont besoin. Les routes sont parfois impraticables et les groupes armés représentent une menace tout à fait réelle pour le personnel humanitaire.
Afin de répondre à la situation et à ses évolutions et de couvrir un maximum de régions, Handicap International a mis en place une "équipe mobile". Composée de professionnels spécialisés dans un large éventail de domaines tels que la réadaptation ou le soutien psychosocial, elle peut se rendre dans les camps de personnes déplacées et travailler en collaboration avec d'autres organisations. Malgré les difficultés, l'équipe peut atteindre les personnes qui en ont le plus besoin et les mettre en relation avec les services adaptés. Leur travail en vue de fournir des aides à la mobilité (béquilles, fauteuils…) et de garantir un accès équitable à la nourriture, à l'eau et aux soins de santé a un impact positif sur les personnes qui ont été arrachées à leur foyer."
D'après votre expérience et les évaluations récemment menées dans les pays concernés, comment cette crise peut-elle évoluer?
"Il semble clair que la situation va se détériorer dans les mois à venir, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, la deuxième saison des pluies vient tout juste de commencer dans la Corne de l'Afrique, avec plusieurs semaines de retard, et ne devrait pas permettre d'atteindre une production alimentaire suffisante.
Deuxièmement, les confits sont l'une des principales causes de la pénurie alimentaire. Des centaines de milliers de personnes fuient la violence au Soudan du Sud, en Somalie et au Nigéria. Elles laissent derrière elles leurs terres, leurs animaux et leurs emplois, et ne sont plus en mesure de produire leur propre nourriture ni de générer des revenus leur permettant d'acheter des aliments. Malheureusement, rien n'indique que ces conflits vont s'apaiser dans un avenir proche, ce qui signifie qu'un nombre important de personnes à charge sur le plan alimentaire seront déplacées. Un million de réfugiés venus du Soudan du Sud devraient par exemple s'installer en Ouganda d'ici la fin de l'année 2017.
Enfin, la situation risque fort de s'aggraver du fait que la riposte internationale a été trop lente. Nous connaissons ces tendances et ces risques depuis de nombreux mois, mais la crise a eu du mal à attirer l'attention. Les Nations unies ont sollicité 4,4 milliards de dollars US au mois de mars, mais seuls 21% de cette somme ont été collectés à ce jour. Ce problème peut sembler lointain ou politique, mais pour dire les choses clairement de nombreuses personnes mourront sans cette aide financière d'urgence."
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